Un matin de la semaine prochaine ou de la suivante, vous allez vous lever, innocent. Vous allez sortir et paf! Ça va vous frapper! Dans les gosses! Le froid! Il va faire moins dix dehors. Avec le facteur vent, moins trente. Votre corps va se demander ce qui se passe. Vous allez regarder autour de vous. Vous allez tenter de trouver des gens pour vous expliquer cette horreur. Mais vous n’allez voir personne. Vous n’allez voir que des manteaux passer. Bien sûr, il y a des gens dedans. Mais vous ne les verrez pas. Tellement ils sont emmitouflés. Vous, nu-tête, avec votre petit imperméable, vous allez vraiment avoir l’aire d’un touriste. Parce que les Québécois de souche savent qu’il n’y a qu’une façon de survivre à l’hiver, c’est de porter plusieurs couches.
Avant de sortir de chez lui, le Québécois de souche met une camisole, une chemise, un chandail, un veston, des caleçons longs, des pantalons, des souliers, des bottes, un manteau en doudoune, un foulard, des mitaines et une tuque. Ça lui prend une heure pour s’habiller, mais quand il sort, il est prêt. Le néo-québécois tarde parfois à adopter cette pratique. Mais habituellement, après sa troisième pneumonie, il se décide à aller acheter son Kanuk. Et il troque le béret pour la tuque.
Transi de froid, vous allez embarquer dans votre Peugeot. Vous allez essayer de la faire démarrer. Elle ne démarrera pas. Elle est gelée, votre Peugeot. Vous allez devoir apprendre à pratiquer le sport national du Québécois : réchauffer son char. Le Québécois passe l’hiver à réchauffer son char. Avant de se coucher, le Québécois démarre son moteur pour être certain que son auto ne sera pas gelée, au matin. Puis, il se lève durant la nuit pour répéter la manœuvre. Et le matin, il se lève deux heures plus tôt. Une heure pour s’habiller. Une heure pour réchauffer son char. Le Québécois ne dort pas de l’hiver.
Après avoir appelé le CAA pour booster votre Peugeot, vous allez finalement arriver au bureau. Bleu et ahuri. Vous allez dire à vous confrères de travail : « Mais c’est épouvantable, c’est la Sibérie, le corps humain ne peut endurer cela. Merde! » Et c’est alors que vos confrères vont vous répondre : « Ça, c’est rien. Attends en janvier! » Et vous allez devenir blanc. Même si vous venez d’Haïti.
Puis, de la fenêtre de votre bureau, vous allez voir la neige tomber. Pas une petite neige folle, comme jeudi dernier. Non. Une vraie chute de neige. Avec des gros flocons, format Club Price. Vous allez trouver ça magique. Enchanteur. Attendez de sortir dehors! Vous allez dire votre premier tabarnak. Vous allez tomber sur le derrière. Parce que vous ne saviez pas que c’était si glissant que ça. Et si vous ne vous êtes pas cassé une jambe, vous allez essayer de retrouver votre Peugeot. Ensevelie sous un tas de neige de dix pieds. Vous allez devoir, pour la première fois de votre vie, déneiger votre automobile. Avec vos pieds. Vous n’aviez pas prévu vous acheter une pelle. Une pelle, dans votre pays, ça sert seulement pour enterrer les gens. Ici, ça sert à tous les jours, pour nous déterrer du banc de neige. Et vous allez voir que la neige ça semble tout léger quand ça tombe, mais ça pèse une tonne rendu au sol. Vous allez vous faire votre première hernie discale. Puis, si par miracle, votre Peugeot accepte de démarrer, vous allez prendre le chemin de votre maison. Vous n’êtes pas rendu! En hiver, quand il neige, conduire c’est du sport. Tout le monde se rentre dedans. Même les Québécois de souche ne se sont jamais habitués à conduire l’hiver. Ils conduisent tout croche. Comme vous. Vous allez sûrement rentrer dans le cul de quelqu’un. N’en soyez pas gêné. C’est normal. Dans quelques secondes, quelqu’un va rentrer dans le vôtre. C’est ainsi. La conduite en hiver, c’est une partouze.
Au bout de trois heures de pare-choc à pare-choc, vous allez finalement arriver chez vous. Dans la chaleur de votre foyer. Après avoir remis vos esprits en place, vous allez avoir le goût de manger au restaurant et d’aller voir un bon film. Cependant, vous avez eu votre leçon. Vous savez quoi faire. Vous mettez un gros chandail de laine. En dessous du manteau d’hiver que vous avez acheté ce midi. Et vous sortez de chez vous. Vous n’aurez pas le temps de faire deux pas. Vous allez paralyser. Vous allez devenir un gros glaçon. Un iceberg. Car, voyez-vous le soir en hiver, on ne sort pas au Québec. À moins quarante, même les phoques restent dans leur bungalow. Tous les Québécois de souche savent ça. Les soirs d’hiver, il n’y a qu’une chose à faire : regarder la télé. Si vous ne souffrez pas d’hypothermie instantanée, vous allez réussir à faire demi-tour. Et à rentrer chez vous. Pour de bon.
Vous allez vous coucher. En vous disant que c’est sûrement exceptionnel. Que demain, ça ira mieux. C’est pas exceptionnel du tout. Ça va être ainsi, à tous les jours, jusqu’au mois d’avril. Cent vingt jours d’enfer froid. Vous êtes prévenu. Un homme averti en vaut deux niaiseux. Il faut, quand même, que je sois honnête avec vous, chers amis immigrants. L’hiver québécois n’est pas exactement comme je le décris dans cette chronique. Il est bien pire! Bon hiver, quand même! Prenez soin de notre pays. Nous, on s’en va en Floride!
Stéphane Laporte
Chroniques du dimanche – La Presse
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